
Jan Arons 1936-2015
Un peintre,

De la peinture en volume au volume peint ... de la suggestion au palpable ...
de la matière au vide …
Quatrième période
La Machine Spéculaire 1989-2005
Les quelques mois passés sur le miroir ont acheminé ARONS vers la certitude que dans le reflet se trouve la solution de sa recherche plastique.
La feuille d'aluminium, substitut du miroir et de la lumière, déjà judicieusement utilisée dans l'œuvre, le sera plus largement encore à partir des années 1990 où apparaît une figure majeure qu' Arons baptise "Machine Spéculaire".
Cette «Machine» réfléchissante est un parallélépipède constitué de 6 miroirs reflétant tout l’environnement ; sa structure, simple et singulière à la fois, réunit des espaces fragmentés.
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ARONS rapporte : "L'idée du parallélépipède est née par le plus grand des hasard. En 1989 je travaillais sur papier des études de plusieurs miroirs dans un espace, histoire de créer un contexte naturel qui permette de réunir des mondes très différents.
Un jour deux miroirs côte à côte se sont mis à ressembler "tout seuls " à un parallélépipède . Dans un éclair j'ai vu devenir objet cet ensemble de miroirs ..."
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La Machine Spéculaire a donc surgi du geste du peintre sur le papier, d'une manière totalement irréfléchie et s'est imposée dés lors comme une évidence.
Pour ARONS qui recherche une logique du total à l'intérieur d'un format, elle offre d'emblée ce résultat inespéré et réalise en fait la synthèse de la tombe spéculaire et du miroir. Elle réunit les espaces dans un seul objet.
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Extrait vidéo "La Machine Spéculaire" version 1998: Th Bourdy L’œil écoute ©
Le peintre construit désormais un unique volume, héritier direct des premières années de travail (les masses de peinture modelée comme de l'argile) qui singularise encore l'aspect plastique.
Ce procédé définit la cohabitation déjà présente de deux systèmes d'expression étrangers sinon contradictoires : peinture et sculpture ; soit l'interpénétration d'un volume réel, tactile, relevant de la sculpture et d'un plan pictural traditionnel, monde virtuel de l'image.

1990 Tombes 68x49x12cm et 1994 Tombes Spéculaires 130x95x18cm
La machine est le parallélépipède à six miroirs : elle voit tout, elle reflète et pour ainsi dire, elle réfléchit, artefact spéculatif qui transforme notre perception.
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C'est à travers elle que ARONS va désormais voir le monde, en y imprimant ses formes et ses couleurs, en y décernant ses structures, et l'âme de ses objets : machine à voir, machine à réfléchir.




Des hommages nombreux sont adressés à tous les auteurs et philosophes dont le peintre nourrit sa pensée : Beckett, Gadda, Deleuze …, ou encore Robert Musil dont, en 1990, il titre plusieurs oeuvres de références à "L'homme sans qualités".


1990 Objet Sans Qualité 175x130x11cm
1990 Ulrich et Agathe 129x148x9cm
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En 1990 JAN ARONS dit ceci : "la machine sans qualité, comme le livre de Musil, l'homme sans qualité. Sans qualités propres et particulières, parce qu'elle les a toutes ; elle est comme une surface sensible de l'éphémère ou du temps, qui réunit les dimensions du corps humain et l'espace du ciel, la mort et la vie."
Techniquement ARONS recommence à découper, à entamer directement les panneaux à même le bois, comme il l'avait fait une première fois pour "Naissance du bleu" (1989):
Il s'agit d'un traitement violent infligé au support.
Les panneaux sont ainsi cassés, brûlés, creusés, découpés.

On retrouve dans Avers-Revers (1991) le principe des techniques mixtes : un tissu tors rempli de plâtre est engagé dans la paroi cassée, formant un étrange bourrelet, comme secrété d'une blessure ; une mince zone longitudinale creusée dans la partie - le miroir - gauche lui répond symétriquement.
On aperçoit par endroit le support nu, le bois brut offrant une texture et une couleur naturelles dans un ensemble aux tonalités grises et blanches.

1991 Avers Revers 129x90x7,5cm
Il s'agit aussi, souvent encore, d'un geste d'assemblage.
quand de fines lattes de bois construisent le squelette même de la Machine à l'intérieur du panneau




D'une manière générale, au fil des années, le support, le plan, sera de plus en plus travaillé.

1994 Vol 130X95X16cm
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1996 Munch 125X95X14cm
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1996 Deleuze125x95x10cm
Ici le sujet (le motif) et le principe s'entremêlent.
La Machine Spéculaire devient une tête, ou la tête devient une machine spéculaire ; tête sans visage… visage sans tête ...
Visage monstre issu de la lune ou surgi des profondeurs chtoniennes, coupé en deux, séparé et réuni par les arêtes ou l'adjacence des faces de la Machine.
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En 1995 ARONS réalise deux tableaux d'une grande sérénité, dans lesquels la Machine se dresse au centre de paysages vallonnés dont les couleurs douces et vaporeuses créent un monde de calme et de pureté.

1995 Basho 130x95x21cm
Le premier est dédié à Basho, le moine/poète japonais inventeur du haïku : la machine spéculaire projetée 21cm en avant y rayonne d'une lumière intérieure intense.

1995 Matinaux130x95x19cm
L'autre peinture, Matinaux, est une référence au poète René Char, le titre d'un recueil de ses poésies.
ARONS témoigne aussi des tragédies successives de son époque, tourmenté incessamment lui-même par ce qu'il appelle la thanatocratie générale qui a traversé et dominé tout le vingtième siècle.




Romain Roux Dufort rapporte les propos que Jan Arons lui a tenus lors d'une promenade en Bretagne.
" En quoi mon expérience croise-t-elle aussi celle des autres ? Où se situe dans ma peinture notre sort commun ? Je n'ai pas tourné le dos aux données politiques ou métaphysiques, comme la guerre ou l'industrialisation du monde. Comme les autres je me demande : Où en sommes nous, que sommes nous ? Pour moi, contrairement à des tendances de l'art actuel, il ne fallait pas nier cette tension dramatique tout en cherchant des réponses à la peinture."
Le support sera aussi "façonné" tendu et arrondi à la fois, bombé.
Ce sont souvent les reflets métalliques ou bien leurs dimensions peu ordinaires qui singularisent certaines pieces, telle Golgotha.

1997 Golgotha 122X180X30cm
Le métal et sa forte capacité spéculaire ont un pouvoir d'envoûtement indéniable : les tableaux ainsi réalisés vous prennent dans leurs reflets multiples ; ils vous regardent et vous les regardez ; ils bougent selon l'heure du jour et le déplacement du spectateur, passant des tons les plus froids à l'irisation la plus jubilatoire en une fraction de seconde.
Ce va et vient, par le dialogue qu'il instaure entre l'œuvre et le spectateur - qui perçoit dans le tableau sa propre silhouette - est un aspect majeur du travail d'Arons.
Pourquoi le bombé du plan du tableau ? ARONS risque une explication :
"On peut le voir comme fragment d'un cylindre, ou d'une sphère, comme un fragment du tout ou rien ; c'est parce que tout est courbe dans l'univers, de par notre vision même qui voit fuir les paraboles de la perspective plane et stable. Le plan courbe est mouvement, ce mouvement est la réalité même, plutôt que l'identité ou le fixe."
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En 2000 et 2001, Arons réalise des tableaux grand format, pastels, avec des demis contrastes portant sur la lumière ; une lumière presque aveuglante, mystique, qui semble émaner de la Machine Spéculaire elle même.
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Les tableaux portent parfois sur la relation interpersonnelle ou introspective.
Ici la machine spéculaire doublée prend une allure particulièrement anthropomorphique. Le peintre s'est représenté de profil dans le tableau, et son propre reflet redoublé dans le miroir accentue ce schéma anthropomorphe.
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2000 Introjection166x119x20cm
En 2002 et 2003 se produit un changement remarquable.
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De nombreuses modifications du support rendent certains tableaux susceptibles d'être installés directement sur le sol : ces tableaux, intitulés "Janus" par le peintre, sont posés sur des socles en bois, plus ou moins fins, membres grêles et maladroits anthropomorphisant davantage la Machine Spéculaire. Ils brouillent définitivement, en ce qui les concerne, toute catégorie esthétique courante. Ces Janus sont tous "double-face" (recto/verso) bien sûr. Ils ont été installés à Avignon en 2007 selon une sorte de parcours initiatique, de forêt.
Extrait vidéo de l'Exposition 2007 à l'Espace Saint Louis en Avignon: Thierry Bourdy l'œil écoute ©.
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Des scènes champêtres et à la figuration marquées apparaissent.

2002 Saisons 1 181x82x38cm
recto verso
2002 Balle Cube 182x81x30 cm recto verso


Certains s'ouvrent en leur centre
comme des livres.
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2002 Escaladieu recto verso , ouvert 182x77x32cm


Ce "Grand philosophe" (195 cm de haut) est habillé sur une face, nu sur l'autre ; ses membres sont plus ou moins indiqués par de vives découpes dans la structure, sa tête est la machine spéculaire qui voit tout.( 2003-2005)
2003 Grand Philosophe 195x124x54cm recto verso


2003 Voyeur (183x84x35cm) Son aspect général évoque les gigantesques Moais de l'ile de Pâques.
2003 Autoportrait en janus installé sous un portique 124x83x30cm
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Après la série des Janus, différents thèmes seront abordés : politiques, littéraires, climatiques.




En automne 2003, Arons subit une crue du Rhône catastrophique (perte d’œuvres sur papier
et traces de boue sur les peintures…).
S'ensuit en 2004 une série "post inondation" de tableaux aux titres évocateurs (Coulées, Naufrage, Décrue, etc.). Parmi eux, Rongée se démarque en tant que précurseur de la série de 2005 : des sillons réellement découpés partagent presque entièrement le panneau dont le seul volume est le plan cintré. Ils créent deux déchirures longitudinales, des trouées assez larges qui divisent le tableau presque comme un diptyque, ce qui nécessite un accrochage contre le mur. Ce mur devient alors partie intégrante de l'ensemble.




Dés 2005 on constate un retour net à la figure, au portrait, souvent double, reprenant l'idée du janus, de la séparation/addition, de la schize. Chaque tableau de la série est divisé dans sa forme, sa composition, et ses couleurs clair/sombre (Masque, Percées, Orbite). Certains titres eux-mêmes, inventés par Arons, sont composés de deux termes antinomiques : Feucendre, Posinega, les têtes sont réunies de telle manière que deux profils agencés forment un seul visage, réunion/séparation dans un seul espace.




L'accent est mis sur les yeux (Arons a découvert avec un enthousiasme d'enfant le terme vairon...). Il titre la série: "regard vairon", expression définissant pour lui le thème du double, du regard autre dans la même figure, le schème du complexe encore et de la cohabitation inattendue : ombre lumière, droite gauche, œil noir œil bleu (déjà présent en 1981... dans le tableau Einstein) etc.



1981 Einstein 67x88x8cm

Ce thème donne l'occasion de mieux dégager sa vision d'un monde double : le monde des sens, le monde de la phénoménologie, dans lequel le corps est plongé au quotidien, et un autre monde, extra-sensoriel, qui nous constitue aussi, mais qui n’apparaît guère qu'en théories abstraites (dans les sciences physiques par exemple), et que nous ignorons.
La machine spéculaire, peinture "métisse" serait la solution d'Arons pour introduire à cet espace supplémentaire.