
Jan Arons 1936-2015
Un peintre,

De la peinture en volume au volume peint ... de la suggestion au palpable ...
de la matière au vide …
Né en 1936, Jan Arons est un artiste issu de la guerre ; d'un naturel rebelle, le monde lui est incompréhensible et hostile dès son plus jeune âge. Quand il aborde la peinture à la fin des années 1950, il ressent d'emblée la nécessité pressante du changement. C'est au centre même de la peinture que ce changement vital doit se produire, dans sa structure, son espace interne.
Pendant près de vingt ans, autour de thèmes demeurés classiques, le peintre va tenter
d'introduire les bouleversements du siècle (sociologiques, politiques, scientifiques...) dans
son travail ; dans une première période il accumule sur ses toiles des reliefs impressionnants de matière qui vont créer une nouvelle dimension, un nouvel espace,
imaginaire et pictural . (Extrait vidéo exposition espace Saint Louis Avignon 2007)
Le désir de montrer la complexité réelle du monde qui l'entoure est à l'origine de cette
recherche: Arons veut parler du Tout, une réalité qui embrasserait des notions de toutes
sortes, y compris contradictoires, opposées.

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Au fil des années différentes solutions apparaissent, tendant à simplifier et radicaliser
cette recherche. Le support toilé est remplacé par des panneaux de bois, dont les
dimensions augmentent jusqu'à l'adoption d'un format-type de 125x90cm environ. Le
cadre, de plus en plus discret, finit par disparaître totalement, et les empâtements de
peinture, toujours d'une épaisseur démesurée, sont cependant plus épars, répartis sur la
surface pour assurer la composition du tableau .




En 1988, au printemps, Arons découvre fortuitement la capacité spéculaire de l'eau.
Des perspectives inespérées lui sont dès lors ouvertes, et sa recherche prend une direction inattendue.
Autour de l'Abbaye troglodyte de Saint Roman, à Beaucaire, en Provence, des tombes
anthropomorphes sont creusées dans le sol rocheux et remplies d'eau de pluie . Ce
dispositif singulier est un choc pour le peintre, et davantage encore, le caractère réfléchissant de l'eau qu'elles contiennent offre une solution idéale à sa recherche. Le tout y est réuni dans un schéma complexe, une association étroite des contraires. L'élément liquide diffracte et réunit tout l'espace environnant. Cette notion primordiale va apparaître dans tous les tableaux de la série de Saint Roman, dont chacun restitue la forme étrangement humaine de la tombe .

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Dès l'année suivante,1989, pour concrétiser et "plasticiser" (rendre artificiel) ce phénomène naturel créé dans l'eau, le miroir, objet de controverse, s'impose . Outre son analogie légendaire avec la peinture, il permet à Arons de réunir des perspectives échelonnées et des mises en abyme étourdissantes.

Mais un miroir simple se contente de répéter à l'infini une même image. C'est la multiplication des miroirs qui ajoute de la complexité; leur emboîtement en carrés hétéroclites qui fragmentent l'espace pictural évoque mieux, déjà, l'idée de fusion des multiples perçue dans les reflets de l'eau.
Cependant pour atteindre une totalisation plus intense et plus tangible, il apparaît nécessaire de multiplier les espaces, dans un seul objet, exactement comme dans les tombes liquides de Saint Roman ; aller en somme vers une sorte de simplification.
Synthétisant les capacités respectives de la tombe et du miroir, un parallélépipède avec six faces réfléchissantes surgit alors, spontanément, sous les doigts du peintre à partir de 1990 : la MACHINE SPECULAIRE. Elle totalise plusieurs espaces, plusieurs lieux différents de l'environnement réfléchis par chacune des faces, et réunis par les lignes d'arêtes. Comme l'eau et comme les tombes, elle offre donc -a fortiori- une solution idéale au peintre. (Performance de Jan Arons inclue dans la vidéo de Th Bourdy version 1998)
Ainsi de l'eau au miroir, puis du miroir au parallélépipède, Jan Arons ne cesse d'affiner l'idée complexe à travers le thème général d'une "cohabitation paradoxale". Cette cohabitation se joue et dans le sujet, et dans les moyens d'expression.
En effet, objet singulier dans le champs pictural, la Machine Spéculaire voit se radicaliser l'interpénétration du plan et du volume, la notion de complexité s'incarnant parfaitement dans cette solution originale d'une peinture devenue objet.
Une importante évolution plastique accompagne l'affinement de la pensée et de la théorie thématique ; les panneaux, à la lisière de la sculpture, sont désormais réellement construits, assemblés par des fragments de bois collés, fragments qui jaillissent en avant du plan et remplacent peu à peu les masses de matière du début . Au sein de ces panneaux tour à tour décaissés, cintrés, puis ondulés, ouvragés de multiples manières, le parallélépipède s'incarne en somme, et reflète des images éphémères et hétéroclites regroupées autour des lignes d'arêtes, véritable colonne vertébrale de cette figure .
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Essentielles, ces lignes unifient, attachent et assemblent, mais elles peuvent aussi séparer, créer un espace divisé, schizophrène, à l'intérieur même de la forme cubique, ou du format rectangulaire du tableau. Dans leur relative rigidité, elles créent ainsi des flux, des mouvements et des lignes de fuite, des discontinuités, des segments, des éclats, des brisures...
Cette séparation circonscrite dans un même corps -celui du tableau- permet ainsi de mettre des formes, des techniques et des volumes en confrontation permanente, de créer des ruptures de rythme et des situations dramatiques à l'intérieur de l'espace pictural; c'est ainsi que la Machine Spéculaire navigue en permanence entre division et cohésion, unité et multiplicité, fragmentation et reconstitution, étant en outre fixée définitivement dans l'entre deux et "l'indéterminé" par la réunion des deux techniques artistiques mises en œuvre (Précisons cependant que cette peinture qui est en même temps sculpture, demeure un tableau et se regarde comme une peinture.)

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Pendant des années Jan Arons construit et reconstruit sa figure vitrifiée dont les six surfaces réunies " reflètent tout, même le sol" dit-il . Il ajoute que toute peinture est l'image du monde ou de l'homme, et que le parallélépipède représente pour lui le reflet de la pensée et la structure intérieure de l'homme .
C'est pourquoi la Machine Spéculaire est devenue un véritable personnage, un personnage traversé par le monde, une figure caméléon.
C'est sans doute à travers elle que l'Homme dont Arons déplore la "disparition", est rejoint: dans ce grand miroir qui capte le monde, la machine parallélépipédique debout, évocation incontournable de la stature humaine, l'être acéphale de notre temps dont parle le peintre, qui retrouve ainsi, pour lui, son véritable visage .





Dans les derniers travaux, la MS n'apparaît plus de la même manière, mais l'Homme "acéphale" déploré par Arons est toujours là ; le travail continue malgré la perte des illusions sur l'avenir du monde, et le désespoir sous-jacent ; le travail continue...et rien de cette défaite n'y apparaît, car "la peinture est toujours un geste positif" dit Arons. On peut ajouter que l'œuvre entière du peintre, dans son évolution, exprime une vie d'homme : chez Arons, de sa jeune peinture tourmentée par la chair visible des empâtements fous, vers l'apaisement progressif de la matière, le dépouillement de la MS et des petits volumes tardifs, percés et pénétrés d'espace. La pensée y est toujours discernable autour de ce grand questionnement qu'est pour chacun, et spécialement pour l'artiste, la complexité du monde.
Lentement, obstinément, toujours à son travail, le peintre n'a cessé d'affiner cette idée première. L'évolution de son œuvre, jusqu'au pièces ultimes, en témoigne comme
elle témoigne du sérieux et de la constance du travail autour de ces combinaisons insolites d'espaces.
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C'est ainsi que l'ensemble constitué par les tableaux de toutes ces années forme une œuvre d'une grande force, énigmatique, polysémique, qu'il est aujourd'hui essentiel et urgent de connaître, reconnaître, et faire connaître.