
Jan Arons 1936-2015
Un peintre,

De la peinture en volume au volume peint ... de la suggestion au palpable ...
de la matière au vide …
Cinquième période
De la matière au vide… 2006-2011
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Cette cinquième et ultime période est une sorte de voyage déroutant ; plus d'une centaine d'œuvres sont réalisées (22 en 2006, 39 en 2007, 39 en 2008, 24 en 2009), dans un format quasi standard ( souvent de 62x44x7cm).
Elles n'ont plus les dimensions des œuvres antérieures, les grands panneaux dans lesquels l’espace pictural et sculptural étaient réunis : les retables, la machine spéculaire, leur quasi stature humaine et son contexte d'arrière plan.
Ce sont des sortes de sculptures, plus petites, denses et homogènes, planes ou légèrement bombées, ajourées ou trouées, découpées, fendues (voire déchiquetées) à l'image du grand thème qu'elles abordent : la perte de l'Humain. Elles sont posées à même le sol avec ou sans socle ("pieds" ?), « petits personnages » abstraits ou conceptuels. Arons parle ici encore d'objets picturaux.
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Contrairement aux multiples parallélépipèdes de la Machine Spéculaire, formant dans ses couleurs, ses lumières et ses agencements métamorphiques un contre-plan du réel, ces "personnages" ne racontent pas une histoire. Acérés, autonomes, sans rapport avec l'extérieur, ils vibrent d'une intensité interne, d'une vie propre. Leur thème ou leur sujet constitue une promenade mentale dans un environnement politique et sociologique.




A travers des portraits esquissés, quelquefois à peine lisibles, disparaissant dans les fonds, il y a une confrérie intensive, parfois minoritaire, ou marginale, d'écrivains, de peintres, d'amis ou de figures: Artaud, Bram Van Velde, Guy Debord, Mahmoud Darwich, Pasolini, un vagabond, un sioux, Ophélie, Hamm, Winnie, Dernier Paysan, Ancêtre, Fêlure, Vanité (à Pieter Claesz), Fou, Slave, Sorcier …
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.Indépendamment de son nom, chaque tableau qui relativement à ce nom, se pose fortuitement en métaphore ou en symbole, interpelle ou choque par son étrangeté formelle, son abstraction concrète et concentrée. Tous sont énigmatiques.




A défaut de portraits discernables, ces objets étranges et paradoxaux portent en eux la signification de l'oeuvre. Tantôt le positif (la matérialité concrète de la surface), tantôt le manque et l'absence qu'il induit (le vide même de la découpe), devient le signifiant, livre ainsi la thématique élaborée.
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Avant eux la Machine Spéculaire apparaissait déjà comme un véritable personnage, une figure céphalique et "réfléchissante", traversée par le monde dont elle assurait l'inventaire et son commentaire sous-jacent.
Dans ces derniers travaux, où de nombreuses œuvres traitent de la guerre (toute une série), d'autres d’états physiques ou psychiques, de concepts proches d'une déréliction généralisée (Nocturne, Cri, Fin, Kolyma...), seul demeure de ces personnages l'Homme "acéphale" déploré par Arons. Vidé, brisé, percé, il disparaît même, progressivement.
Ces êtres singuliers marquent ainsi comme un chant du cygne : une désintégration, un retour à la tombe, le constat amer d'une défaite de la pensée ...
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Cependant la pensée, celle du peintre, tournée depuis 40 ans autour du grand questionnement qu'est la complexité évidente du monde, est toujours vive et discernable chez Arons : il en va ainsi de sa jeune peinture aux empâtements tourmentés vers l'apaisement progressif de la matière, puis de la Machine Spéculaire vers son dépouillement et enfin des petits volumes percés et pénétrés d'espace installés comme des sculptures, qu'ils sont, apparemment, devenus
Ce dernier aspect est une autre énigme, et non des moindres, de l'oeuvre, même s'il en est une caractéristique fondamentale !
Esthétiquement, casser ou défaire le plan du tableau, déconstruire la surface, en la brisant ou la réfractant, c'était déjà s'affranchir d'une expression picturale, en la soumettant à une dynamique de volume ; les tableaux, à présent, seraient devenus sculptures, "choses", « êtres», notamment dans les dernières œuvres de 2009, campés sur leurs jambes ou sur deux ou trois sabots, vivant de la dynamique abstraite de leurs propres formes et proportions.
Désormais la démarche n’apparaît plus vraiment picturale, renversant ou abolissant le rapport spectateur/représentation dans une simple alternative physique.
Pourtant selon le désir et l’intention du peintre lui-même​, cette peinture n'est aucunement une sculpture, pas plus qu'un genre de "sculpture polychrome".
Cette sorte d'objet « mutant » demeure un tableau et se regarde encore comme une peinture.
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Jan Arons se voudra, et sera peintre jusqu'au bout...Uniquement
Dans les trois dernières années de sa vie, Arons dont l'état de santé se détériore tragiquement, dessine ou peint sur papier (à l'aquarelle ou à la gouache souvent de format de 35x50cm) d'innombrables "autoportraits en Janus", toujours fasciné par cette figure idéale.




.Le travail s'est alors considérablement réduit, et c'est ce double, physique et mental, obsédant, qui deviendra désormais pour lui le seul et le dernier signifiant de la complexité des choses.

" Mon travail n'est pas seulement une œuvre de déconstruction (de toutes les continuités convenues, supposées, déterminantes) mais, par une solution de continuité, un geste positif…"
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"Dans le parler, l'expérience sensible altère le concept; le concept corrode le sensible: il y un enchevêtrement. Mais la peinture trace une frontière, elle met tout dans une autre pièce, dans un autre espace qui commence à partir d'une vitre invisible; c'est l'espace séparé du miroir des ménines ou c'est la vitre du grand verre…"
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"Au départ je n'avais qu'une idée vague: dire que la peinture est anachronique, qu'elle parle une langue qui n'a plus cours...
C'est pourquoi il fallait l'enchevêtrement, l'interpénétration des espaces: il fallait dépasser la vitre, rompre l'immobilité, pour que quelque chose rentre dans l'espace noir de l'attouchement, là où on ne voit pas: j'ai voulu injecter le temps, approcher du palpable, en espérant qu'il sorte une fleur du bulbe..."